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Karen Trask
Lit de Proust: en attente d'un baiser
Karen Trask began reading Marcel Proust's À la recherche du temps perdu. Inspired by the conditions that led to the creation of this work, Trask decided to reinterpret and build, in a shed, the context, the room and the bed of Proust.
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In a shed in Petite-Patrie, Montreal
Access via the alley between St-Urbain and Waverly, corner Mozart or Jean-Talon
Opening and performance: Thursday, June 8, 2006 from 16h to 20h30
Performance and neighborhood party : Saturday, June 24 from 18h
Schedule of visits: Thursday from 16h to 20h30, Friday and Saturday from 13h to 17h
« [...] épinglant ici un feuillet supplémentaire, je bâtirais mon livre, je n’ose pas dire ambitieusement comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe. » - M. Proust, Le temps retrouvé
« Voici un projet sur le temps et la mémoire, sur les mots, la lecture et l’écriture. C’est une réponse personnelle à Marcel Proust et À la recherche du temps perdu en lien avec qui je suis, où j’habite et l’époque dans laquelle je vis. Ce projet traite de la patience et de mon obsession des mots. »
Karen Trask began reading Marcel Proust's In Search of Lost Time. Inspired by the conditions that led to the creation of this work, Trask decided to reinterpret and build, in a shed, the context, the room and the bed of Proust. In this shed, she makes various papers, on which she affixes words, phrases recovered or inspired by the author. The public reaches Proust's bed by the alley leading to a garden. He finds the play and the artist who welcomes him at work, in full reading or at rest.
This project aims to accentuate the isolation in which Proust's work was created when he was bedridden because of illness. In addition, the project introduces the hangar, an endangered species, and the Montreal backyard, this intimate and private space specific to the city, by placing it in a mixed neighborhood zone, where single-family homes and industrial buildings, factory and artist workshops coexist.
« Créer pour moi est né d'un besoin de comprendre et d'approfondir mes expériences personnelles et oniriques. Ces références sont souvent les points de départ dans la réalisation de mes œuvres. L'écriture est un outil important qui me permet de me réinventer de façon à renouveler et à transformer mon quotidien d'artiste et d'individu. Cette écriture est présente autant à l'intérieur de mon processus de création que dans l'œuvre finale. »
Montreal artist, Karen Trask touches on several media: sculpture, artist's books, installation, printmaking, video and performance. She has directed several solo and group exhibitions in Canada, Finland, India, Mexico and the Netherlands.
Rapport d'activité
S’est déroulé du 8 au 30 juin 2006 dans un hangar de la Petite-Patrie, Montréal Le vernissage a eu lieu le jeudi 8 juin et une fête de quartier a été organisée le samedi 24 juin
Une ruelle c’est une ruelle, un hangar c’est un hangar: le dictionnaire Larousse est strict à ce sujet. Que faisait donc Proust dans un hangar?
En me dirigeant vers l’exposition de Karen Trask Lit de Proust: en attente d'un baiser, coin Mozart, dans un hangar de la ruelle longeant St-Urbain et Waverly, mon imagination a déraillé comme une toune power métal. Je cherchais mon chemin dans cette ruelle qui partage son existence entre l'arrière de manufactures et les entrées discrètes d’immeubles.
J’ai imaginé Marcel Proust, le bonze incontestable de la littérature française, croupissant de manière excentrique dans un tas de cambouis et de sciures de bois. Un Proust déjanté: un alliage d’un vieux calendrier Valvoline et d’un portrait tiré d’un dictionnaire épinglé dans le coin le plus glauque d’un garage en ruine. Des fragments du Temps perdu jaunis et visités par le mythe des virgules en surdose.
Je me suis rappelé la réputation et la qualité du travail papier de Karen. Le papier, à part celui des circulaires et des journaux à potins, c’est doux, fin et précieux; encore davantage quand c’est fait à la main dans une ruelle.
Arrivé à destination, quand j’ai aperçu le superbe ruban de papier de lin qui pendait de la fenêtre, j’ai compris tout de suite à quel genre de «prousterie» j’avais affaire. Un Proust revisité avec assez de nuances, de poésie et d’évocations subtiles pour nous faire passer l’envie de potiner sur sa vie.
Karen Trask, avec son sourire soyeux, accueillait les visiteurs en leur offrant le spectacle de son travail. Postée à l’entrée de la cour donnant sur le hangar, elle filait les pages du dictionnaire Larousse avec une perceuse, enroulait une série de mots et la mémoire symbolique qu’ils transportent. Ce travail reprenait un autre amorcé quelques années plus tôt par l’artiste à la Biennale internationale de lin de Deschambault.
Mais le véritable spectacle de cette installation demeurait sans aucun doute la contemplation de son Lit de Proust. Pour s'y rendre, on devait suivre un sentier de pierres grises dans un somptueux jardin qui aboutissait à ce fameux hangar.
Rappelons ici que Proust écrivit la majeure partie de son œuvre allongé dans son lit dont Karen nous offrait une reproduction photographique au rez-de-chaussée qui constituait une salle d'attente. À l'étage, le lit était là, il prenait toute la place. Ce n’était pas un meuble, c’était une présence sourde. Dans le coin qui oppose le lit se trouvait un fauteuil, une petite table avec le cahier de travail de l’artiste et un coussin de mots, accessoire complémentaire qui parlait plus du savoir-faire que de l’œuvre. Le lit était splendide et son rendu magnifique. L’objet qu’elle produisit durant quatre mois de travail respirait une finesse qui embaumait tout l’espace d’exposition. Habité d’une présence fantomatique discernable aux contours d’un corps froissé dans le papier, le lit dégageait un vécu qui le rendait presque intemporel et animait des fantasmes le rendant plus vrai que le véritable lit de Proust.
Pis un hangar ce n'est pas toujours un hangar. Karen a opéré une véritable cure muséale à son espace, le rendant plus muséal qu'un musée. Un lieu impeccable aux murs blancs et aux planchers revernis dans lequel on ne pouvait entrer sans y mettre des gants.
À ma sortie, la boule de mots réalisée par Karen commençait à prendre l’ampleur de la patience, de la lenteur, et du caractère obsessif de son travail.
Proust n’était ni dans une remise en ruine, ni dans un garage usé de vécu. Il était là, fantomatique, allongé dans un lit de mots et de papier fait à sa taille.
Médéric Boudreault, juillet 2006