Programmation
Alexandre David
Faire des places
Trois objets mobiles, déposés au parc sans nom, pourront être emportés et installés n'importe où.
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Trois objets mobiles, déposés au parc sans nom, pourront être emportés et installés n'importe où. Chaque objet est assez léger malgré son volume considérable pour qu'une seule personne puisse le déplacer et l'installer facilement. Ces objets se déplient et s'ouvrent pour fonctionner comme de petites places. Le principe d'un objet qui se déplie et se replie pour le transport nous est familier: chaise de plage, parapluie, poussette, table pliante. À l'image de ces nombreux objets du quotidien, l'usage initial des objets proposés, soit la possibilité de les déplacer et de les ouvrir, apparaîtra évident et presque naturel. La configuration des espaces, une fois déployés, est tout aussi simple et familière, de façon à ce qu'on puisse s'asseoir sur une forme qui fonctionne comme un banc sans se demander s'il s'agit vraiment d'un banc, ou marcher sur une plateforme sans craindre d'embarquer sur autre chose qu'un plancher. On pourra y faire ce qu'on veut. Ces objets sont en effet destinés à un usage informel: qui résulte de tous les usages singuliers et variables qui s'accumulent et finissent par intégrer la possibilité d'usages alternatifs. Par exemple, on y mange son lunch, mais on sait qu'on pourrait tout aussi bien y faire une sieste, ou avoir une conversation avec un ami, parce que d'autres le font ou l'ont fait.
À la notion d'usage informel, qui se rapporte plutôt à l'objet déployé et momentanément fixé en un lieu, on pourrait rajouter celle d'usage pauvre pour décrire la relation entre l'objet et sa propre mobilité. Les Franciscains, à qui l'on doit cette expression, refusaient non seulement la propriété, mais s'opposaient également à ce que leur usage de la propriété soit balisé par le droit (par exemple, le réglement concernant l'interdiction des chiens dans les parcs Viger et Émilie-Gamelin de l'arrondissement Ville-Marie semble surtout viser à éliminer la présence des itinérants qui ont des chiens). Si l'on rabat cette notion d'un usage sans droit sur l'espace de la ville, elle nous permet de refuser une organisation de la ville qui cherche une conformité entre des types de lieux et des attitudes correspondantes. Chacun de nous accorde à des lieux une importance personnelle et chacun s'adapte autrement aux lieux déjà investis par une communauté. Pour l'artiste, ce projet est une tentative de se faufiler entre ce partage de lieux plus ou moins déterminés par soi et par les autres. (Pour une dicussion supplémentaire, voir une biopolitique mineure, entretien avec Giorgio Agamben réalisé par Stany Grelet et Mathieu Potte-Bonneville, Vacarme, no 10, hiver 2000.)
Certaines de mes oeuvres fonctionnent comme des tableaux tandis que d'autres fonctionnent plutôt comme des lieux architecturaux à l'intérieur desquels on peut se déplacer. D'autres encore, à mi-chemin entre le tableau et l'architecture, sont conçues de façon à rendre inopérante la distinction entre l'image et l'usage.
Un vernissage a eu lieu le vendredi 10 août de 18h à 23h.
Alexandre David est un artiste qui vit et travaille à Montréal. Ses oeuvres en sculpture, en photographie et en peinture ont été exposées dans divers lieux au Canada, en France, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Il est le récipiendaire du prix Louis-Comtois 2006.
Un retour sur : Faire des Places
Installations
Les trois installations ont été déposées au parc sans nom le 10 août et ont été récupérées le 31 octobre 2007. Un vernissage a eu lieu le vendredi 10 août de 18h à 23h.
Alexandre David est notamment connu pour son travail sculptural in situ dans des lieux d’expositions «traditionnels», c’est-à-dire dans des espaces de galerie aux cimaises blanches. Si l’artiste doit autant se plier aux contraintes de ces lieux définis qui lui sont assignés, les enjeux ne sont pas les mêmes dans le cas des œuvres qu’il a présentées chez DARE-DARE, au parc sans nom et dans le quartier Mile-End à l'été 2007. Celles-ci ont plus à voir avec le prototype, ici entendu comme des modèles construits à peu d’exemplaires et à titre expérimental.
Dans Faire des places, on reconnaît la signature d’Alexandre David dont les installations font toujours référence à des éléments connus de notre quotidien et à l’architecture qui nous entoure. Le projet rassemble trois objets aux volumes géométriques simples que l’on peut qualifier de mobiliers urbains transformables selon les circonstances. L’artiste indique d’ailleurs qu’il a réalisé «des objets pour donner une expérience du lieu. Chez DARE-DARE, ce sont des objets, des boîtes qu’il faut ouvrir pour en faire des lieux qui sont amovibles.» Ces installations sur roues, assez massives et ressemblant à des boîtes, pouvaient être ouvertes pour se déployer et créer des surfaces de quelques mètres carrés avec des murs d'un peu moins de deux mètres de hauteur.
Ces structures conçues avec du contre-plaqué demeurent épurées formellement, mais évoquent tout de même des espaces familiers (bancs de parcs, surface de jeu ou plate-forme). C’est en jouant sur cette familiarité que l’artiste réussit à attirer les gens. Ceux-ci viennent spontanément vivre dans les sculptures, les moduler et les déplacer. L’artiste indique «qu’il n’est pas toujours nécessaire de prendre conscience des objets qui nous entourent. Ce que je veux, c’est que les gens les utilisent sans trop y réfléchir. L’idée dans ce projet est d’avoir une relation immédiate aux objets.» Et dans ce cas-ci, on peut dire que le pari est tenu. Durant les 11 semaines qu’aura durée cette exposition, c’est surtout sur le site du parc sans nom que les objets ont été déployés au quotidien, mais aussi lors d’activités telles que des projections et des vernissages organisés par le centre. Certaines des places sont sorties dans les environs pour créer un endroit où flâner, sur un coin de rue par exemple. L’une d’entre elle a même disparu, démontrant les risques possibles de laisser des œuvres à emporter se perdre dans la ville. Cette éventualité d’une perte faisait partie du jeu au même titre que l’artiste prenait le risque de voir son œuvre se détériorer par les éléments (la pluie, le soleil) ou par des graffiteurs qui ont d’ailleurs marqué leur appréciation à la bombe aérosol par des phrases assez évocatrices: «We [heart] public art», «Leave your mark», «Have a seat» ou encore «A work in progress».
Si ces places mobiles n’ont pas pu se disséminer dans le quartier autant que le souhaitait l’artiste, c’est qu’il y avait certaines impossibilités techniques et légales qui rendaient la manipulation et le déplacement quelque peu difficiles. La lourdeur des structures en contre-plaqué et l’utilisation de roues non adaptées au terrain chaotique du parc sans nom (point de départ des places) sont quelques éléments pouvant expliquer que ce projet n’ait pas eu l’impact initial souhaité. Par ailleurs, le fait de prendre la liberté de déposer ces structures sur des bouts de terrain, spécifiquement entre le trottoir et les bâtiments du quartier, a soulevé des questions sur la notion de propriété privée. Il est intéressant de relever la grogne de certains propriétaires qui ne semblaient pas apprécier la présence de ces places «indésirables» venues se poser sur leur propriété. Bien qu’on puisse considérer les installations d’Alexandre David comme des œuvres d’art public, leur «illégalité» sur des lieux privés a eu pour effet de susciter un sentiment de perte d’espace pour les propriétaires ayant reçu la visite de ces volumineuses places. Malgré tout, le terrain de jeu du parc en tant que laboratoire à ciel ouvert aura permis de tester ces structures en favorisant les rassemblements et les moments pour flâner ou même jouer. Alexandre David pourra, éventuellement, repenser les matériaux utilisés afin de les rendre plus facilement transformables et transportables d’un lieu à l’autre.
Les prémisses du projet d’Alexandre David étaient intéressantes, en cela qu’ils ont permis à l’artiste de revoir sa propre démarche artistique pour la confronter à l’espace public. Même si certains ajustements sont nécessaires pour permettre à ces places mobiles de véritablement se déployer dans la ville, il n’en demeure pas moins qu’elles auront déclenché une réflexion sur le rôle de l’art dans les espaces publics. Se déplacer dans le quartier avec ces objets, les poser dans des lieux non conçus pour eux à la base, c’est aussi se questionner sur ce qui régule les espaces publics et privés et par quels moyens le citoyen peut prendre position dans ces lieux fortement balisés. En ce sens, Faire des places d’Alexandre David aura permis aux utilisateurs de l’œuvre de vivre une expérience tant ludique que réflexive sur l’occupation possible des lieux dans une société fortement réglementée.
Manon Tourigny, février 2008