Programmation
Douglas Scholes
(Qu’est-) Ce qui se produit quand une chose est entretenue (?)
Douglas Scholes ouvrira sur le site un chantier de construction et y érigera une structure. Cette structure sera cependant inhabituelle car, dès le début de son érection, elle commencera à s'affaisser.
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Installation et construction
Chantier avait lieu du 9 septembre au 16 octobre 2004 Au square Viger (carré ouest)
Doug Scholes ouvrira sur le site un chantier de construction et y érigera une structure. Cette structure sera cependant inhabituelle car, dès le début de son érection, elle commencera à s'affaisser. Des efforts perpétuels de construction et de réparation seront requis pour qu'un semblant de forme puisse être maintenu. Au cours du projet, ces activités se brouilleront en une seule. Bien que la structure soit importante, c'est le travail exécuté qui devient primordial.
Ce projet témoigne de l’intérêt de l’artiste pour la question de l’entretien. Les infrastructures d’une ville (rues, parcs, ponts, égouts) sont soumises à une transformation continuelle de leur état, une usure, d’où la nécessité, pour le citadin et la collectivité, d’affronter ces activités cycliques et perpétuelles de construction, de réparation, d’entretien, de démolition et de reconstruction. Ces activités causent un chahut constant, sans compter les détours et retards occasionnés aux citadins. D’ailleurs, c’est ce travail continuel qui rend la ville utilisable et vivable pour ses habitants. Le projet de Doug Scholes fait écho à la nature même de l’entretien et devient en soi une célébration de ses mécanismes: voir les structures dénudées et dans un état de destruction/réparation et considérer la performance du travail exécuté.
Démarche
Ma pratique artistique s’est élaborée à partir de la sculpture et de la création d’objets avec des aspects formels. Avec le temps et les essais, je me suis intéressé à l’art et à l’entretien. La détérioration est un potentiel intrinsèque à toute chose: l’usure s’installe. Un objet laissé pour compte s’use et se désagrège, tandis qu’un amas de matériaux, laissé pour compte, ne s’assemblera jamais en un objet. Cependant, les objets et les matériaux sont rarement inexploités. Les transformations font le pont entre la détérioration et l'entretien et opèrent quand les matériaux s’usent ou se fatiguent, quand ils sont remplacés ou rénovés. Il y a alors deux types d’activités en cours, soit intrinsèque (détérioration) et extrinsèque (entretien). Ces activités s’influencent mutuellement. La force d’attraction, le climat et l’usure s’occupent de la détérioration, tandis que l’entretien est le résultat d’un travail acharné contre ces forces.
Ces deux types d’activité occasionnent des résultats visuels pragmatiques liés aux transformations. La détérioration propose de belles images qui répliquent à l’érosion de la nouveauté et à la supposition de l’état original. Inversement, le même constat peut être avancé sur l’entretien, que ce soit lors du dépouillement et de l’attente du revêtement ou comme témoin du travail exécuté.
Originaire de Montréal, Douglas Scholes a fait ses études à l'Université de Lethbridge et à l'Université du Québec è Montréal, et a présenté son travail en Alberta, au Québec et en Ontario. Scholes est également membre du Centre de recherche urbaine de Montréal. www.crum.ca
Rapport d'activité
Chantier avait lieu du 9 septembre au 16 octobre 2004 Au square Viger (carré ouest)
(Qu'est-) Ce qui se produit quand une chose est entretenue (?) marquait le début de la programmation Dis/location: projet d’articulation urbaine de DARE-DARE au square Viger. L’exposition se voulait de nature évolutive par la matière utilisée et par la présence constante de l'artiste Doug Scholes comme agent d'entretien. Ce dernier avait moulé près de 1500 briques en cire d'abeille au cours de l'été. Ces briques creuses possédaient une rigidité qui leur permettaient de s'empiler facilement, mais aussi une fragilité qui les faisaient réagir au climat.
L'odorat était la première faculté à être chatouillée par l'installation. L'odeur douce et sucrée de la cire d'abeille attirait le public et servait de préambule à son arrivée, car l’odeur circulait bien au-delà des murets délimitant le parc. La scène qui accueillait les visiteurs au coin de Berri et de Viger leur donnait vaguement l'impression d'entrer dans un chantier de construction: un abri mobile, des clôtures, trois constructions (de six à huit pieds de hauteur) et un journalier au travail (l'artiste ou le stagiaire Josh Schwebel, qui assuraient une présence quasi-quotidienne sur le site). L'installation ressemblait à un chantier ordinaire. De surcroît, l'arrondissement Ville-Marie avait annoncé peu de temps auparavant le réaménagement du parc; on croyait donc les travaux commencés.
Le public moindrement observateur pouvait constater le mouvement des structures lorsque, sous l'effet de la chaleur ambiante, les briques s'aplatissaient, tombaient et se répandaient sur le pavé uni. L'intervention de Doug Scholes semblait présenter un modèle réduit d'une ville qui franchit en accéléré les diverses étapes de son évolution. L'intervention révélait la nature cyclique et sans fin du travail de maintenance en rendant visible et saisissable le processus d'ériger, de réparer, de rénover, de nettoyer et de reconstruire. On constatait au square Viger un travail d'entretien sans fin.
Chez les usagers, les habitués et les habitants du parc, le projet se comprenait dans le temps, car le travail de l'artiste prenait sens dans la durée et la continuité. Plus qu'une œuvre d'art appréciée le moment d'une visite, le projet prenait l'allure d'un diaporama où chaque journée présentait une version différente de la même œuvre. On éprouvait le présent comme une confrontation entre la veille et le lendemain, entre le travail accompli et le travail prévu, entre les débris causés par le climat, le vandalisme ou les inondations, et la forme finale envisagée pour les structures.
L'impact de l'œuvre sur l'environnement était imprévisible, en partie parce que c'était pour l'artiste une première expérience de diffusion hors galerie, et en partie aussi parce que l'œuvre venait occuper la scène centrale dans un parc très fréquenté. L'artiste souligne que l'échange humain a été primordial pendant la durée de son intervention. Par les thèmes qu'il adressait, le projet devenait un liant avec autrui (passants, résidants des alentours, itinérants, jeunes de la rue, travailleurs, étudiants, etc.) et confirmait le rôle que peut occuper une œuvre créée en société, en multipliant les contacts et les types d'échange possibles avec le public.
Cinq semaines d'intervention et de présence constante sur le site ont permis à Doug Scholes et aux coordonnateurs de DARE-DARE d’entendre les réactions du public à l’égard du projet. Les commentaires traitaient de tout: le bonheur de voir des artistes exposer leur travail ailleurs qu'en galerie, la surprise de constater le début du réaménagement du square, le choc de voir une œuvre d'art prendre la forme d'un amas de détritus, la révolte de savoir remise en question l'existence même du patrimoine moderne qu'est l'Agora de Charles Daudelin, l'ahurissement devant le manque de volonté politique de régler les «problèmes» liés au square Viger.
C'est dans la continuité et la durée que le travail de l'artiste s'encrait et prenait sens. Le projet s'est finalement présenté tel un microcosme de la société urbaine dans l'idée du maintien d’un équilibre, ou plutôt dans la tentative d'y arriver. Dans le contexte du square Viger, on pouvait comprendre l'intervention de Doug Scholes comme un écho à l'intention initiale de Charles Daudelin d'apporter à la place publique une animation artistique, comme une réponse cyclique et cynique aux tentatives répétées de la Ville de recouvrir l'autoroute Ville-Marie, ou même comme un effort d'accélérer la gentrification du quartier en éloignant les sans-abris. L'artiste a réussi, semble-t-il, à provoquer le débat.
- Jean-Pierre Caissie, octobre 2004