Programmation
D'UNE ÉCRITURE À L'AUTRE
Traduire, interpréter, faire dialoguer les personnes et les territoires
Présentation des projets participants dans le volet Écritures Publiques de la programmation 2022-2023.
Nouvelle programmation 2022-2023 du volet Écritures Publiques
DARE-DARE poursuit son projet de poésie/écriture publique. Empruntant la forme brève du slogan, du haïku ou du tweet, ces courtes phrases, aphorismes, poèmes ou questions sont diffusés pour une durée d’une semaine sur une enseigne lumineuse située au parc Sainte-Cunégonde (quartier de la Petite-Bourgogne). Les textes sont ainsi rendus visibles, le jour et la nuit, pour les passant·e·s qui transitent près de la halte de documentation du centre d’artistes.
Cette semaine, nous entamons la programmation 2022-2023 du volet Écritures Publiques, et nous avons le grand plaisir de vous présenter les projets participants.
Printemps — Bélinda Bélice
Bélinda Bélice est poète, écrivaine et musicienne établie à Montréal/Tiohtiá:ke. Elle détient une maîtrise de littératures de langue française (recherche-création) de l’Université de Montréal. Elle s’intéresse à mettre en scène la voix féminine, les corps des femmes, surtout ceux des femmes noires. Active sur la scène musicale québécoise, elle forme le duo de musique soul/world (Haïti), Bel and Quinn, avec sa sœur et guitariste jazz, Christina Bélice.
Elle explore la dimension corporelle de la voix en jouant avec les registres de langue et la forme du texte. J’aime que la parole des personnages ne fasse qu’un avec le récit. L’écriture, la poésie me permettent d’exister, de lutter. « La poésie, c’est ce qui étant dit, est », comme dit Gaston Miron. C’est comme lorgner la possibilité de renaître. En exposant consciemment les corps et les voix des femmes dans mes textes, je leur redonne l’espace qui leur est dû.
Son projet poétique consiste à défiler les histoires familiales que l’on hérite malgré soi et toutes les autres que l’on ramasse en cours de vie. En effectuant ce travail de retissage, le corps commence à errer où bon lui semble, la voix peut chercher à s’habiter. C’est brûler tout ce qui nous assaille, dire puisqu’on meurt. À travers le côtoiement des langues française et créole haïtien, ces poèmes tentent de décortiquer l’héritage familial que l’on peut accepter ou non, qui fait partie de soi, abandonner des croyances jusque-là jamais remises en question. C’est un chemin nouveau à prendre, dépasser sa maison et décider de ne pas revenir.
Été — Club Ami
Club Ami est un centre de jour en santé mentale fondé à Montréal en 1983, situé dans un local au 5e étage donnant sur le ciel de la Côte-des-neiges. S'y retrouvent des personnes, pour la plupart psychiatrisées, aux prises avec de lourds et persistants problèmes psychopathologiques. Si chacun.e peut trouver au Club du support et de l'écoute active, il ne s'agit pas tant ici de pourvoir des services, que de constituer une petite communauté autour du simple fait d’être ensemble. On se retrouve là pour chiller, jouer aux cartes, aux dominos et explorer de manière mineure mais continue toutes sortes de pratiques créatives : dessin, collage, écriture, radio, film, photo.
Club Ami, l'autrice qui applique ici, est une créature composite érigée comme une sculpture du Facteur Cheval, à partir de l'assemblage de toutes sortes de visions, de langues, de voix, de psychoses, de récits, d'expériences, de géographies qui sont les mondes de ses membres. Elle est parfois hâve, trouée de l'absence de celles et ceux qui sont hospitalisé.es ou qui vont trop mal pour venir, ou pleine de bruits, de désir, toujours vivante. Elle murmure ou elle crie, elle revendique ou invoque. Il n'y a pas de traduction ni d'analyse, parfois même pas de dialogues, mais des flux syntonisés ici et là, ou adressés avec force.
Les mots s'entrechoquent. Ils sont des mélanges de vérités fulgurantes et d'éclats de délire, ils mettent sur un même plan l'histoire - la petite comme la grande - des figures humaines et non humaines, des astres et des abysses, des signes cabalistiques, des gestes quotidiens et spirituels qui nous animent. Ils forment des diamants noirs, les bijoux poétiques de Club Ami. Club Ami ne s'intéresse pas à la « santé mentale » cette expression objectivée qui se monnaie dans les circuits du bon monde des papas et mamans assis.e.s dans le salon. Club Ami traverse des états, change de forme, cherche des formes, et propose de vous offrir pendant ces quelques mois les traces de ces mutations, ces fuites et ces cavalcades.
Automne — Martina Chumova
Née à Prague en 1984, Martina Chumova a grandi (surtout) au Québec. S’intéressant à beaucoup de choses disparates, elle étudie en anthropologie, en études allemandes et en histoire avant de travailler dans le milieu de l’édition. Elle a publié des nouvelles dans des revues et collectifs; son premier roman, Boîtes d’allumettes (Cheval d’août, 2020) traite d’immigration et de mémoire en se concentrant sur le détail, l’oblique, la texture fine des expériences quotidiennes. Elle vit à Montréal.
Tout le monde a déjà été frappé à un moment ou l’autre par l’arbitraire des catégories qui constituent nombre de formulaires officiels, mais les expériences d’immigration y sensibilisent sans doute particulièrement. Chumova aimerait d’examiner cette sensation d’arbitraire – de se trouver devant des classifications quelque peu absurdes mais qu’on ne peut appréhender avec légèreté, car des « bonnes réponses » peut dépendre la suite de vies entières. Les fragments de phrases présentés évoquent une certaine insécurité de l’individu déraciné, qui risque de tomber dans les fissures entre les catégories qui permettraient d’être « en règle ». Le fil conducteur liant les quinze formules : des décalages et intrusions, autant sémantiques que formels. Elle cherche ainsi à suggérer la dissonance (légère ou majeure) qui émerge quand l’expérience réelle –multiforme, dense, ambiguë – se heurte aux structures plus ou moins bureaucratiques qui régentent le fait d’être en règle ou non, déterminent qui a le droit de rester où, qui est étranger et qui appartient aux nôtres.
Hiver — Geneviève Thibault
Ses projets de création questionnent, à travers une réflexion sur l’habiter, les [soi disantes] frontières entre l’espace public et l’espace privé, l’identité et l’altérité, le territoire intime et le tissu social, ainsi que les forces à l’œuvre dans l’acte d’habiter. Ces préoccupations, qui convergent toutes vers la question de la cohabitation d’un territoire, l’ont conduite vers des études autochtones, vers l’étude de l’ethnologie, puis la pratique des arts. Geneviève Thibault utilise la photographie, la vidéo, l’installation et l’écriture pour donner forme à ses questionnements dans différents espaces, publics ou privés, réels ou virtuels. Thibault enseigne la photographie au Cégep de Matane tout en poursuivant une maîtrise en pratique des arts à l’UQO. Elle habite à 630 kilomètres à l’Est de Montréal.
Sa pratique se déploie au contact de l’altérité, dans les environnements
J’ai a eu 40 ans durant le confinement. Ma maternité se transforme. Celle
qui me relie à mes enfants et celle qui me relie à ma mère. Mon fils s’apprête à quitter la maison. Ma mère perd la mémoire. Dans sa cuisine, des petits papiers jaunes de forme carré lui rappellent ce dont elle doit se rappeler. Je lis ces fragments de son quotidien à chacune de mes visites. Comme elle, je me fie sur ces mots qui traduisent sa peur de l’oubli. Nous nous rencontrons dans ce lieu d’écriture du quotidien. Une fois étalées et exposés aux regards, les mots [maux] personnels deviennent - ils plus réels, moins jetables, universels, apaisés ? Qu’advient - il lorsque l’intérieur s’expose ?