Programmation
KARIANNE TRUDEAU BEAUNOYER
Quand je serai mort·e, j’aurai été
Karianne Trudeau Beaunoyer nous présente une série de 12 phrases composées à partir des réponses d'une quinzaine de créateur.ice.s à un questionnaire sur leurs perceptions vis-à-vis la mort.
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Je ne suis jamais morte sauf de rire, d’ennui, de faim, d’angoisse, de froid, de honte, de soif, de fatigue, de désespoir, de plaisir. Je ne suis jamais morte, mais j’ai déjà eu peur, j’ai parfois eu hâte, j’y ai pensé, à la mort, je l’ai redoutée, je l’ai cherchée, je l’ai fuie comme la souris le chat. Je sais qu’elle me rattrapera. Quand je serai morte, j’aurai été une fille, une amie, une marraine, j’aurai été amoureuse, j’aurai été. Le futur antérieur, qui marque l’aspect accompli, terminé, d’un événement futur à un moment déterminé, sert à situer un événement qui arrive avant un autre dans l’avenir.
L’artiste français Christian Boltanski évoque ses morts avec seulement leurs dates de naissance et de mort (Mes Morts, 2002), comme si toute une vie était contenue dans ce tiret entre deux années, un peu comme l’épitaphe résume la vie d’une personne décédée en quelques mots. L’épitaphe est une empreinte, une trace. C’est à la fois l’inscription et la tablette de pierre qui la reçoit. Dans la Grèce antique, c’est un genre littéraire, un éloge funèbre ancien. Aujourd’hui elle correspond surtout à l’inscription qui identifie simplement la personne qui occupe une sépulture. Ce n’est pas tout le monde qui en a une.
Le rapport que les gens entretiennent avec la mort, avec la leur surtout, m’interroge : infléchit-il leur manière de mener leur vie? J’ai envoyé à une quinzaine de créateur·ice·s de mon entourage un questionnaire à travers lequel je les invitais à réfléchir à la place qu’occupe une certaine pensée de la mort dans leur vie et dans leur démarche artistique ou d’écriture. J’ai puisé les douze phrases de cette résidence dans leurs réponses, afin de faire de l’enseigne lumineuse, le temps de mes semaines de création, une sorte de faux tombeau anticipatoire, une inscription ante mortem des ambitions, des craintes ou des désirs de douze vies condensées, traduites, dans les formules-épitaphes affichées.
Plutôt que d’être tiraillée entre la recherche et la création, je tâche de mener les deux dans un même mouvement, un même geste, de lecture-écriture.
Karianne Trudeau Beaunoyer
Karianne Trudeau Beaunoyer vit à Montréal, où elle écrit et enseigne. Elle est l’autrice de Je suis l’ennemie, paru au Quartanier en 2020, et a codirigé, dans la collection « Indiscipline » du Groupe Nota bene, l’ouvrage Se faire éclaté·e : expériences marginales et écritures de soi. Titulaire d’un diplôme de maîtrise en recherche et création littéraire, elle s’intéresse actuellement à l’autoportrait en littérature dans le cadre d’un doctorat à l’Université de Montréal. Elle a été membre du comité de rédaction de la revue Mœbius de 2017 à 2019.