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Programmation

Magali Babin et Sylvie Cotton

LA MUSIQUE DE TOUT LE MONDE

Les artistes Magali Babin et Sylvie Cotton poursuivent le projet fou et ambitieux de recueillir le prénom de chaque personne résidant aux Habitations Jeanne-Mance, afin de composer une trame sonore unique.

Lancement festif

LANCEMENT 5@9 À LA ROULOTTE SAMEDI 1er NOVEMBRE La Musique de tout le monde, un projet interdisciplinaire de Magali Babin et Sylvie Cotton, a débuté en août 2013. Il a consisté à aborder les résidentes et résidents du complexe des Habitations Jeanne-Mance (HJM) dans le but de réaliser ensuite plusieurs projets sonores.



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Les artistes Magali Babin et Sylvie Cotton poursuivent le projet fou et ambitieux de recueillir le prénom de chaque personne résidant aux Habitations Jeanne-Mance, afin de composer une trame sonore unique.

Celle-ci sera ensuite reformulée en un carillon résonnant la diversité de la culture vivant et vibrant au cœur de Montréal. Par la même occasion, elles feront aussi la cueillette du titre de la chanson préférée de chaque résident.e et cette collection musicale sera prétexte à une grande fête dansante au début de l’automne.

Surveillez la présence des artistes et de leur équipe dès le mois d’août !

Elles circuleront dans l’espace des HJM, le jour comme le soir, au marché ou au jardin, au parc ou au terrain de basket.


Compte-rendu: La musique de tout le monde de Magali Babin et Sylvie Cotton

Un projet présenté dans le cadre des volets  Interventions dans l’espace public et Fréquences radio de la programmation 2013-2014 du centre DARE-DARE

Texte de Jean-Philippe Luckhurst-Cartier

 

D'apparence festif et transitoire, le Quartier des spectacles regorge de communautés. Cet hiver, Lors d’un entretien à la roulotte de DARE-DARE avec Magali Babin et Sylvie Cotton, cette dernière m’énumérait par exemple celles du complexe Desjardins, des nombreux commerçants, du Cégep du Vieux-Montréal, des sans-abris, et j'en passe. Les Habitations Jeanne-Mance se trouvent toutefois à faire partie du seul lieu esquivé par les transformations du quartier, et seul lieu où l'on retrouve encore des habitants permanents au sein de cette jungle du divertissement culturel et économique. C’est un lieu qui, d’ailleurs, fut un des premiers résultats d’un réaménagement du secteur urbain dès 1956.

Jeanne Mance

Mesurant 7,7 hectares et situé dans le quadrilatère formé par les rues Ontario, Boisbriand, Sanguinet et Saint-Dominique, on retrouve un terrain accueillant 788 logements, 28 immeubles, 528 logements aux personnes âgées autonomes, 5 tours de 12 étages, 14 multiplexes et 50 maisons de ville.

Pionnière de la Nouvelle-France et considérée en tant que cofondatrice de Montréal depuis 2012, Jeanne Mance est à l’origine du premier hôpital de la ville et instigatrice de nombreuses œuvres sociales du milieu montréalais. L'historique de la Corporation d’habitation Jeanne-Mance (CHJM), lui, est également unique en Amérique du Nord. De par son développement architectural et de par le financement du gouvernement fédéral et municipal, le CHJM a suscité beaucoup de réactions lors de son inauguration. Dans une optique de revitalisation du quartier suite à la crise de 1929 qui mena à un grave problème du logement, une organisation d’ouvriers fit la demande de construction de bâtiment pour habitations aux loyers à prix modiques. De plus, le centre-ville, habité au maximum de sa capacité, était déjà, bien entendu, dans la mire de plusieurs projets commerciaux. Cette époque voit naître différents affrontements politiques qui soutiennent soit un discours économique ou bien qui cherchent à assurer les principes des services sociaux. Tout cela semble très près de notre temps. Bref, l’intervention de l’état permet néanmoins la création de bâtiments aux loyers modiques. Suite à une loi nationale érigée en 1944 sur l’habitation, on y permet l’octroi de soutien financier, résultant dans la création de ce que nous connaissons aujourd’hui comme les Habitations Jeanne-Mance. 

Monument aux Habitations

Né d'un désir de collaboration et de rencontre par les disciplines respectives de Sylvie Cotton et de Magali Babin, soit l’art relationnel et l’art sonore,  le projet La musique de tout le monde (MTM), présenté par DARE-DARE, apporte une monumentale observation sonore et humaine qui se présente de manière musicale et relationnelle. Babin et Cotton cherchaient un moyen de créer une œuvre sans l’attirail technologique d’artiste sonore tout en effectuant une énumération identitaire issue de rencontres et d’amalgames. Concrètement, le projet a consisté à récolter le prénom et le titre de la pièce musicale favorite de chaque résident rencontré. La compilation eut lieu durant l'été 2014 grâce à un sondage personnalisé sur le terrain des habitations et pendant différentes activités et manifestations sociales et culturelles (ex: le marché, la fête des voisins, l'activité mosaïque...); avec le soutien des stagiaires Emmanuelle Dormoy et Lissette Guerra sous la forme d'un formulaire.

« Dis-moi c’est quoi ta toune ? »

Au total, plus de 300 titres de pièces musicales furent récoltés et autant de prénoms. La liste, sorte de monument relationnel éphémère, est fascinante et parle d’elle-même. On commence avec la pièce Amaro porano jaha chay (Tout ce que mon cœur désire) du compositeur, écrivain, dramaturge, peintre et philosophe indien Rabindranath Tagore jusqu’à Alma corazón y vida de la chanteuse folk Soledad Pastorutti, d’Argentine. La sélection parcours un répertoire éclectique incluant Un amour qui ne veut pas mourir de Renée Martel, Another Brick in the Wall de Pink Floyd, la chanson thème de Spiderman, Psy avec Gangnam Style, La dame en bleu de Michel Louvain, Aqua d’Annie Brocoli, Gangster’s Paradise de Coolio, We Are the World de Lionel Richie, Moi, mes souliers de Félix Leclerc, Mon Jésus je t'aime, I put a spell on you, interprétée par Nina Simone, la neuvième symphonie de Beethoven, la Valkyrie de Wagner, Ferme ta gueule de la Fouine, All Shook Up d'Elvis tout en passant par le Buồn Tàn Thu du compositeur, poète et peintre vietnamien Văn Cao.

On a pu entendre ces pièces, soit 314 morceaux pour un total de 22 heures, émises une à la suite de l’autre sur les ondes du projet Radio DARE-DARE 102,9 fm. Elles étaient entrecoupées d’indicatifs sonores en différentes langues, soulignant le multiculturalisme de cet environnement particulier tout en présentant le projet pour ceux qui se joignaient à l’écoute, comme à la radio.

En plus de jouer aux disc-jockeys en créant une énorme « playlist » de demandes spéciales identitaires, les artistes ont créé trois œuvres sonores issues des prénoms des gens sollicités. Sylvie Cotton les énonce à voix haute, pendant que Magali Babin enregistre le tout afin de créer la Suite énumérative. Cette dernière, l’artiste sonore, a par la suite édité une série cumulative des lectures de la première, où chaque nouveau prénom énoncé est superposé aux précédents, allant jusqu’à l’incompréhensible bref susurrement cacophonique total, on accède alors à la Superposition progressive.

Le troisième indicatif sonore, une accumulation unique de tous les prénoms, est un énorme fichier audio qui ne dure que trois secondes. À l’aide d’un logiciel sonore lui permettant de compiler jusqu’à près de 300 pistes sonores, ainsi que d’une formation par le compositeur et artiste multidisciplinaire Thierry Gauthier, Magali Babin a réussie l’exploit de superposer les 297 prénoms lus individuellement par Sylvie Cotton. On les entend alors en un seul souffle abstrait, résultant en une forme aussi minimale que monumentale.  

En «performant» les prénoms des résidents tout en les captant pour l’ouïe, Sylvie Cotton et Magali Babin soulèvent des questions formelles de prononciation, de phonétique, de débit, d’oralité et de réseautage. Y ajoutant les musiques choisies, elles nous ramènent non seulement au vers d’oreille, mais à notre chanson préférée ainsi qu'à celle des autres. Tout cela, bien contextualisé, fait en sorte que les liens qui nous rattachent à leur œuvre sont de natures multiples ; émotive, identitaire, festive et mnémonique. L’émotive, l’identitaire, la festive et la mnémonique se rencontrent de par la volonté de présenter et d’entendre un extrait spécifique des personnes qui vivent de manière permanente au sein d'un quartier à l'apparence spectaculaire et fugace.

Références :

http://archivesdemontreal.com/2014/12/18/les-quartiers-disparus-de-montreal-la-petite-bourgogne-1965-1967. Consulté en ligne le 15 mars 2015.

http://blogue.onf.ca/blogue/2013/02/19/les-quartiers-de-montreal-a-travers-les-films-de-lonf/. Consulté en ligne le 15 mars 2015.

http://www.chjm.ca/fr/index.php/a-propos-de-nous/histoire-de-la-chjm. Consulté en ligne le 15 mars 2015.


Entrevue avec Magali Babin et Sylvie Cotton, le 18 février 2015 à la roulotte de Dare-Dare, alors située sur un terrain vague près de la station de métro Saint-Laurent.