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Programmation

SPURSE

Perception et appartenance : parcourir les zones de Montréal

SPURSE est un collectif hybride à ramifications internationales qui touche à l’art et à l’architecture. SPURSE s’intéresse à la reconstruction des lieux communs, par un examen de l’urbanité avec une approche psycho-géographique.


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À partir du parc sans nom, Montréal
Promenades tous les jours départ à 13h du parc
Événement/rencontre le samedi de 19h à 23h


Comment se crée le sentiment d'appartenance? Comment en arrivons-nous à percevoir un lieu pour enfin y appartenir?

Dans le projet Sensing Place, SPURSE fait valoir la complexité et le dynamisme des relations de forces, soient-elles humaines ou autres, qui existent dans la grande région de Montréal. Par le parrainage d'événements communautaires, spurse crée un temps d'arrêt, offre l'occasion de repenser, d’imaginer et d'interagir avec un lieu de façon expérimentale en vue non pas de déterminer l'identité de ce lieu, mais de permettre à ce dernier de transformer les participants. Pour atteindre cet objectif, le collectif organise une série d'activités déambulatoires et d'échantillonnage en partance du nouveau site de DARE-DARE. Suivra l'élaboration d'une représentation psychogéographique des zones, ainsi qu'un événement/rencontre multimédia sur le sentiment d'appartenance, non pas fondé sur l'humanocentrisme, mais sur l'histoire, la géographie et l'écologie.


SPURSE (www.spurse.org) est un collectif hybride à ramifications internationales qui touche à l’art et à l’architecture. SPURSE s’intéresse à la reconstruction des lieux communs, par un examen de l’urbanité avec une approche psycho-géographique. Parmi ses derniers projets, notons Mapping the Working Waters durant lequel SPURSE a tenté une cartographie de la côté atlantique du Maine (É-U) et The Interventionists: Art in the Social Sphere au Mass MoCA (Massachusetts, É-U).

Paul Bartow (Watkins Glen, New York et Austin, Texas), est diplômé en beaux-arts et en architecture. Membre de SPURSE depuis 1997, il fait également partie du collectif Bartow + Metzgar avec l'artiste Richard Metzgar. Son travail en collaboration avec SPURSE, avec B+M, ou à titre individuel a été présenté partout aux États-Unis.

Brian H. DeRosia (Portland, Maine), a étudié les arts visuels et les beaux-arts. Dans le cadre de son travail, il étudie le processus de création des traces et incorpore également des éléments tirés de ses expériences et intérêts personnels. Depuis peu, il crée des machines à dessiner qui produisent des dessins à partir de lecteurs d'origine algorithmique. Il a participé à plusieurs projets de SPURSE.

Catherine D'Ignazio alias kanarinka (Waltham, Massachusetts) a étudié les beaux-arts et les relations internationales et son travail de recherche comporte des intérêts divers dont la cartographie critique, l'économie politique et les «infiniment petits». Elle a collaboré à la création de performances, de logiciels, de conférences et d'installations avec, notamment, les groupes iKatunInstitute for Infinitely Small Thingsglowlab et SPURSE.

Iain Andrew Kerr (Portland, Maine), cofondateur de SPURSE, a étudié la philosophie et l'architecture. En 2003, il était l'un des initiateurs du projet That Word Which Means Smuggling Across Borders, Incorporated, une expérience où convergent l'architecture, le corps et l'habillement. Intéressé par la pratique architecturale, il collabore avec plusieurs petits cabinets de design.

Stan Pipkin (Houston, Texas) est concepteur en architecture et cofondateur de spurse. Par le biais de la recherche architecturale, il explore la relation entre la matérialité et la dynamique des lieux, et les stratégies d'occupation. Il a recours aux techniques de cartographie, au design algorithmique et aux principes du design durable. Au nombre de ses projets en cours, notons le développement d'habitations à loyer modéré (Kenya), l'élaboration d'un concept d'habitation à consommation énergétique réduite (Texas), et un projet d'archivage des eaux à l'échelle mondiale.


Rapport d'activité

Les promenades partaient du parc sans nom tous les jours du 23 au 27 août 2006.
Un événement/rencontre multimédia s'est déroulé sous le viaduc le samedi soir.

La venue à Montréal du collectif multidisciplinaire SPURSE tombe à point nommé pour marquer l'arrivée de DARE-DARE au parc sans nom. Le projet Perception et appartenance: parcourir les zones de Montréal inaugure en août 2006 le second volet de Dis/location: projet d'articulation urbaine. Durant une semaine intensive d'exploration urbaine, le collectif invite les Montréalais à participer à des randonnées d'une journée, en partance de la roulotte et en direction des quatre points cardinaux. Spurse détermine deux repères fixes sur la carte de Montréal, soit la roulotte du parc sans nom et une destination déterminée aléatoirement par des calculs algorithmiques. Entre ces deux points, il faut manœuvrer pour inventer la route. Le parcours est tributaire du hasard des rencontres, d'éléments ou de phénomènes curieux, il se dessine dans l'enchaînement de comportements stimulés par des associations d'idées, il se trace en négociant, de façon pragmatique et ludique, les obstacles à traverser et en saisissant des occasions qui émergent du terrain à prospecter. 

Chaque randonnée se déroule sur le mode de l'improvisation et comprend son lot de découvertes et d'inventions, comme celle à laquelle j'ai participé, où nous mettions le cap vers le sud, en direction du fleuve. Une fois le viaduc franchi, le groupe gagne des petites rues et des passages, un labyrinthe de friches urbaines dont les délimitations, parfois marquées par des clôtures, sont difficilement perceptibles au coeur d'une végétation étonnamment diversifiée et mature. Nous traversons une vaste clairière dans le sillon de sentiers bien affirmés ou de tracés légers qui témoignent d'autant de manières de circuler vers une multiplicité de destinations. Nous gagnons la cour d'horticulture municipale, un parc, les usines, la piste cyclable bordée de longs murs graffités, des installations impromptues et un espace approprié par les tagueurs, une véritable «chambre urbaine», secrète, très privée. Au loin, se profilent des repères gigantesques tels que les bâtiments de la voirie municipale au curieux style de l'architecture des châteaux, les cheminées de l'incinérateur des Carrières. La marche sur les rails de la voie ferrée rythme le pas, régularise les mouvements et créée un climat propice à la conversation et à une recomposition de l'espace à partir de fragments épars. SPURSE attire notre attention sur les aliments comestibles et les plantes médicinales. Des glissements dans les conversations où il est question de souvenirs, de traditions culinaires et culturelles entraînent des glissements de parcours dans des sentiers parallèles et des espaces semi-ouverts qui constituent autant de points d'entrée et de sortie du datum spatial qu'est la voie ferrée. Lorsque je quitte le groupe, trois heures se sont écoulées pour atteindre la rue Papineau. Les Spursiens, quant à eux, auront suivi la voie ferrée jusqu'au Vieux-Montréal, rejoint tard dans la nuit. 

On saisit bien la fluidité, la plasticité et la porosité de l'environnement social et urbain appréhendé dans le moment présent. On saisit bien, aussi, la complexité et le raffinement d'un système hiérarchique piétonnier connecté, de manière informelle, au réseau viaire établi pour reconfigurer le parcellaire et déjouer les logiques d'usage, de cheminement et d'accès aux trames et aux formes urbaines. Ces nouveaux espaces découpés dans la mobilité permettent d'attribuer de multiples sens aux termes convenus de «public» et de «privé». Un tel brouillage sémantique s'explique, entre autres, à travers la superposition des pratiques personnelles de l'espace formant un palimpseste urbain qui conditionne à son tour l'expérience des lieux. La traversée des lieux est une sorte de mise en jeu spatiale de comportements conditionnés, normés et de comportements spontanés et des affects dictés par les particularités du terrain. Ceci rend ambiguës, donc malléables, les notions de propriété, d'accès, d'appartenance, de permanence et d'éphémérité, des usages et des fonctions établis. 

Marcher avec SPURSE nous place au cœur d'une dynamique particulière. L'attention est soutenue et l'attitude continuellement renouvelée pour que chaque pas soit, en quelque sorte, le premier posé sur un terrain inconnu. La marche permet une immersion des sens dans l'environnement. C'est un médium assurant la fluidité entre les liens psychologiques, conceptuels, symboliques et les sensations physiques. Cette pratique de la marche en est une de détection de correspondances et de possibilités d'invention. Le cheminement aléatoire permet la cueillette et l'assemblage de perceptions éparses où se mettent en place des logiques et des systèmes qui donnent sens à l'environnement.

Les randonnées sont documentées par SPURSE sous la forme de cartes annotées, de diagrammes illustrant des typologies spatiales, des lignes de forces, des vecteurs et des vortex de lieux parcourus. SPURSE capte aussi des sons et des images, des cheminements qui déterminent les tracés parcourus à l'aide d'une machine à dessiner transportée dans un sac à dos et activée par gravité en fonction des mouvements ou encore, des tracés configurés à partir de lecteurs algorithmiques. Cette documentation hybride, une fois colligée, dresse une «cartographie critique» des lieux parcourus.

La réflexion de SPURSE sur les «zones de Montréal» a été présentée lors d'un événement multimédia dans le parc sans nom. Dans les suites de sa résidence chez DARE-DARE, SPURSE vient tout juste de publier un complément de recherche*. Accompagnées de textes de Gilles Deleuze, les photographies et les cartographies critiques illustrent le processus d'investigation du collectif. Elles nous montrent des lieux parfois familiers, parfois étrangers. C'est dans l'agencement des photos qui reconstituent les parcours et dans le déploiement des prises de vue de détails minuscules que nous en reconnaissons l'aspect et que nous découvrons leurs particularités identitaires informelles. L'assemblage de fragments d'informations visuelles suscite les sens et la mémoire pour établir une cartographie sensible de Montréal. Cette «méditation complexe de la politique de l'espace et des perceptions corporelles et des affects» donne à voir des structures spatiales, des nouvelles fonctions, des possibles appropriations de lieux à imaginer et à activer comme autant de formes de résistance citoyenne à l'espace public planifié, scruté et surveillé. 

Dans une perspective urbanistique, la démarche de SPURSE permet de questionner les frontières géographiques, les barrières physiques, la fluidité de l'espace, le naturel et l'artificiel, le culturel, l'animé et l'inanimé, le matériel et l'immatériel. Dans une perspective humaine, elle est le lieu de rencontres et de jeux relationnels. Une dérive dans l'environnement urbain s'envisage aussi comme une dérive à travers soi-même, dans son rapport aux lieux et dans son rapport aux autres. Détourner ses propres schèmes de perception et d'interaction permet que la marche génère de l'événementiel. S'ouvrent ainsi des brèches dans l'environnement urbain habituellement prévisible et fiable. Marcher, «dériver», peut-être même inventer différentes manières de se constituer comme sujet en mesurant l'intensité de son appartenance aux «zones de Montréal».

- Julie Boivin, mars 2007


* SPURSE, Perception et appartenance: Parcourir les zones de Montréal. Vol I, II, III (DVD), Spurse Press, 2006. Disponible en ligne au www.lulu.com/spurse