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Programmation

Stéphanie Pelletier

Char brun

Inspirée par un stationnement extérieur de la Basse-Ville, Stéphanie Pelletier a décidé d’intervenir dans ce lieu. Un monticule de neige sale occupait un espace de stationnement et s’offrait comme matière exploitable.


Au square Viger, dans l’arrondissement Ville-Marie et dans les stationnements publics, Montréal

Vernissage le dimanche 19 février 2006 de midi à 15h

Nuit blanche le samedi 25 février 2006 de 21h à 3h
(dans le cadre de l’événement Nuit blanche à Montréal du Festival Montréal en lumière)

Vernissage et nuit blanche au square Viger


Projet:
Char brun. Médium: neige sale. L'exposition présentée chez DARE-DARE est la suite d’un projet réalisé à Québec en février 2004. Inspirée par un stationnement extérieur de la Basse-Ville, Stéphanie Pelletier a décidé d’intervenir dans ce lieu. Un monticule de neige sale occupait un espace de stationnement et s’offrait comme matière exploitable. En une nuit, avec l’aide d’une amie, elle a sculpté une voiture à partir de cet amoncellement. Étant donné la qualité de la neige, le modèle choisi fut celui du «char brun» (voiture carrée et âgée). L’état altéré de la matière soulignait une des conséquences de l’utilisation de l’automobile et renvoyait immédiatement le char brun à son contexte. Par le climat ambiant, ce contexte agissait comme variante à la proposition, car le char brun «brunissait» de jour en jour.

Dans le cadre de son exposition chez DARE-DARE, Pelletier part de l'idée du char brun et de la sculpture sur neige sale pour reconsidérer le square Viger dans son entourage immédiat. Elle se permet même de débuter les transformations anticipées dans le quartier avec l'arrivée du Centre hospitalier de l'Université de Montréal. Ses efforts pour «revitaliser le secteur» se traduiront par des tentatives de réponse à l’architecture du square et à la disposition du quartier. 

«Je fabrique des objets en lien avec le monde dans lequel je vis. C’est à travers ceux-ci que je mets en perspective la culture de masse, l’ordinaire, l’utile. Je fabrique pour mieux comprendre. C’est en travaillant en relation avec l’imaginaire collectif que je tente de rendre le commun un peu plus magnifique. Je m’engage avec humour dans une ré-interprétation libre des symboles culturels et identitaires. Je leur propose d’autres contextes et les remets en question.

Bien que je m’intéresse aux spécificités de la sculpture, je recherche ardemment à investir l’art en contexte. C’est par cette volonté que j’élabore des interventions parentes à l’in situ. J’imite, je reproduis, je m’interpose à l’intérieur d’un territoire. Ces interventions agissent comme “des possibles” ou comme des facteurs de doute. Elles offrent un temps d’arrêt. C’est animée par un désir de concordance entre lieu, matière et intention que j’oriente mes choix et que je rapproche l’art à la vie. Je transforme la matière pour entamer un dialogue avec les autres, l’espace et le temps qu’il fait.»


Stéphanie Pelletier (Québec) vient de compléter une résidence au Centre Est-Nord-Est (St-Jean-Port-Joli) et a récemment terminé des études en arts visuels à l’Université Laval. Elle a participé à de nombreux événements dont Pique-Nique, Agora festif et la Biennale des couvertes. Chez DARE-DARE, elle présente sa première exposition solo.


Rapport d'activité

Le moulage serait une façon de faire les choses, une façon différente d’être dans son environnement, une forme d’appropriation qui se manifeste dans la duplication ou la multiplication d’objets, et qui, du coup, multiplie nos repères.

C’est l’hiver. La neige tombe et recouvre la ville, les activités sont perturbées, voire ralenties, et l’incidence de ces précipitations est palpable. D’un certain angle, on parlerait d’un façonnement de la ville par la neige, voire de sa forme, et par conséquent, de ses activités, de son fonctionnement. L’impératif de retirer la neige se présente et, ainsi, s’amorce le bal avec l’entrée des machines, celles pour les trottoirs, celles pour les rues. L’intervention simultanée des souffleuses complète avec précision le travail des pelles. L’accumulation uniforme est entassée en bancs avant d'être déplacée et entreposée ailleurs dans la ville, et chaque travailleur s’affaire à retailler et redimensionner cette dernière selon des exigences de priorité devant l’urgence de minimiser les changements.

Sur une période de deux semaines, dans un effort constant et répété au quotidien, Stéphanie Pelletier a occupé, a investi à coups d’interventions le square Viger et ses environs. Équipée des outils du sculpteur comme du citadin, elle s’est approprié les lieux, marquant ici et là, d’une présence subtile, le mobilier urbain avec la matière trouvée sur place : la neige.

En janvier, Stéphanie Pelletier avait séjourné à Montréal pour faire un premier repérage sur le site. Or, à son retour à la mi-février, les conditions du travail avaient changé en raison du réchauffement climatique et de la fonte précipitée de la neige. C’est ainsi qu’elle dut modifier son projet initial. Plutôt que de sculpter une série de voitures dans les bancs de neige sale des stationnements environnants, elle conclut de réaliser seulement une voiture, à l’intersection Viger/Sanguinet, en face de la station de métro Champ-de-Mars, puisque ni le contexte, ni la température ne se prêtait au projet.

Cette première intervention s’est accompagnée d’un travail de moulage d’objets divers, liés à la construction, à la récupération et à la migration. Ainsi, aux ornements qui rythment nos images de la ville, ornements de pierre, de tôle, de bois ou de béton, succèdent des ornements de neige. Cette succession temporaire réactualise des espaces délaissés: les ornements deviennent des points de repère pour les usagers de la ville. En raison d’un manque d’entretien, la charge sémantique de certains lieux d’une ville s’effrite, trouant de cette façon sa représentation, ce qui conduit tôt ou tard à l’effacement de certaines zones intermédiaires, des lieux qui ne sont plus des destinations, mais qui parfois, heureusement, constituent encore des passages. C’est en partie cette caractéristique du square, peut-être instaurée par sa forme ou par sa localisation, qui a mené l’artiste à disposer ses moulages comme parcours. Ces parcours étaient pluriels, comme quoi chaque élément-balise était suffisamment distancé pour suggérer différents chemins. Aussi n’avaient-ils pas de destination, de fin, c’est-à-dire qu’ils insufflaient un écart, sans proposer de direction.

Ce genre d’intervention produit une richesse : celle de la rencontre accidentelle. Dans l’inattention, en sortant de chez soi, en allant au travail ou tout bêtement en passant par là, on se bute à la nouveauté, un détail dont la présence ne peut être fortuite. On dira qu’il y a forcément une raison, une intention, un sens derrière cela. Une voiture taillée au coin d’une intersection achalandée, une série de moulages faits à partir d’objets trouvés dans le quartier, soit des poubelles le long d’une église abandonnée, des bidons de lave-glace sur un rempart, des casques de travail collés sur les murs et des valises au sol ou sur les pergolas du square sont suffisants pour éveiller le doute. Les passants comme les amateurs d’art ont pu rencontrer l’artiste en cours de travail, alors qu’elle s’occupait à retailler la ville à sa manière, ou plutôt, à la mouler pour mieux la mettre à l’avant-plan. Pendant deux semaines, ses interventions ont permis une pause, un contournement, une digression dans la syntaxe urbaine.

La température à la hausse s’est chargée du démontage de l’exposition, faisant se côtoyer les restes de projets antérieurs avec d’autres traces, cette fois celles d’humains, de chiens et de pigeons dans la neige. Le char brun est redevenu un banc informe avant de fondre complètement comme tous les objets produits. C’est au printemps, lorsque tout redevient gris, qu’on peut conclure que la neige apportait une touche de merveilleux dans la ville, lui insufflant un rythme et des formes, quoiqu’elle soit, à Montréal, un peu plus sale qu’ailleurs au Québec.

Mathieu Fraser-Dagenais, mars 2006